La stratégie du hard-discount appliquée aux produits micro

Les enseignes de hard-discount sont devenues des acteurs à part entière de la distribution micro-informatique. Leurs pratiques iconoclastes dérangent à la fois les distributeurs traditionnels et les marques.

Alors qu'elles communiquent par millions de prospectus pour écouler des milliers de micro-ordinateurs vendus sur palettes, les enseignes de hard-discount garde un mutisme total lorsqu'on les interroge sur leur stratégie en matière de distribution micro-informatique. Comme le souligne Jérôme Gresland, le directeur des achats de Lidl, « la philosophie [de ces distributeurs] est de ne rien divulguer sur le sujet ». Même discrétion du côté des constructeurs, rarement fiers d'être présents dans un circuit qui casse les prix. « Nous n'avons pas de politique commerciale vis-à-vis de ces enseignes car notre souci est de maintenir de la valeur à nos produits », se contente-t-on d'affirmer chez Sony. Les marques dont les produits se trouvent de temps à autre aux catalogues des hard-discounters prétendent tout ignorer d'eux. « Les centrales de ces enseignes sont majoritairement en Allemagne et mènent une politique d'achats centralisés qui nous échappe totalement », assure Christian Moulin, le responsable des marchés grand public de HP France. Quant à ceux qui s'emploient à collaborer avec elles, ils s'étonnent des modes de fonctionnement « surréalistes » de ce circuit. « Personne ne rencontre leurs acheteurs, lâche le responsable commercial d'un fabricant d'accessoires numériques taïwanais. On reçoit un document Excel avec des cases à remplir. Ensuite, on retourne nos offres par fax. Puis on attend. En fait, ils cherchent un prix pour faire un coup. » Un coup ou plutôt des coups qui font mal. Car « il s'agit d'opérations énormes, puisque Aldi peut acheter en une fois plus que ce qu'achète en un an une enseigne de la grande distribution », atteste Patrick Faubert, le directeur général de la filiale française de Medion, principal fournisseur d'Aldi dans le monde. Une forte marge de négociation Avec des volumes qui peuvent atteindre les centaines de milliers de pièces, Medion possède donc une forte marge de négociation avec les fournisseurs de composants, tant sur le plan du prix que sur celui de la technologie. Car le hard-discount propose rarement le produit le moins cher mais plutôt le meilleur produit au meilleur prix. Nuance. En mai dernier, Aldi commercialisait ainsi un PC de bureau à 999 €... mais équipé du tout nouveau processeur Dual Core D830 et d'un ensemble clavier-souris sans fil. Un mois plus tôt, Lidl vendait un PC doté d'un AMD Athlon 64 au même tarif. Comme l'indiquait notre confrère LSA en 2004, Medion figure d'ailleurs au rang des premières marques en Allemagne et truste les premières places des classements établis par les magazines spécialisés locaux. Outre-Rhin, chaque lancement de produits par Aldi donne lieu à d'interminables files d'attente sur le trottoir avant l'ouverture. On n'en est pas encore là en France. Mais la répétition de ces opérations fait que le hard-discount pèse de plus en plus lourd dans la distribution informatique grand public. Au grand dam de la grande distribution traditionnelle, engagée sur ce créneau depuis le début des années 1990 et qui tente parfois de faire pression sur les fournisseurs pour conserver sa mainmise sur le marché. « Une fois, une enseigne de la grande distribution m'a demandé d'arrêter de fournir un hard-discounter avec lequel je travaillais, témoigne un fabricant qui préfère rester anonyme et ne pas citer de nom. Je leur ai répondu que je faisais avec ces enseignes quatre fois plus de volume qu'avec eux. » Si les PC performants sont de mise, les accessoires ne sont pas oubliés. À la rentrée dernière, Aldi proposait ainsi une webcam garantie trois ans pour 11,99 € (contre 40 € en moyenne) et un baladeur MP3 avec carte mémoire de 512 Mo à 39,99 € (contre 49 € en moyenne). Des offres qui se multiplient Depuis quelques années, des enseignes comme Netto, Géant Discount, Norma, ED, Les Halles d'Auchan ou Muttant Express mais surtout Aldi et Lidl se sont donc engagées dans la brèche. Avec succès puisque les offres se multiplient. Selon le spécialiste en veille marketing A3 Distrib, plus d'une centaine d'éditions de prospectus publiées en 2005 par le hard-discount incluait une offre informatique. Ceux-ci présentaient des ordinateurs de bureau mais aussi des portables, des multifonctions, des clés USB, des écrans plats, des scanners et autres disques durs externes. A3 Distrib révèle qu'Aldi aurait ainsi publié en 2005 pas moins de trente-neuf éditions de prospectus présentant au moins une offre de produit informatique. Au cours du premier semestre 2006, on en dénombrait quarante-quatre, dont dix-huit avec du matériel informatique en couverture. Lidl n'a pas connu la même progression puisque le nombre de ses éditions de prospectus contenant une offre informatique était de soixante-quatre en 2005 et de quarante pour la période de janvier à juin 2006 (dont treize couvertures). En plus des prix d'appel, tous ces catalogues indiquent le nombre de pièces disponibles afin d'inciter le chaland à se hâter de venir acheter. Chacun de ces deux géants germaniques semble acoquiné avec un fournisseur. Ainsi, la plupart des offres de Lidl concernent des PC Targa, une marque allemande qui fait fabriquer en Chine. L'essentiel de l'offre d'Aldi est siglée Lifetec, l'une des vingt-trois marques de Medion, par ailleurs très présent dans les enseignes de la grande distribution. D'autres fournisseurs font épisodiquement leur apparition dans les pages des catalogues d'Aldi et de Lidl. Au printemps, HP (avec sa multifonction PSC 1417) et Lexmark (avec sa Jet 4252) y étaient présents à deux occasions. Les logiciels ne sont pas en reste, deux opérations ayant été menées en 2006 avec Emme (jeux éducatifs) et Hachette Multimédia (encyclopédie numérique). Né avec l'objectif d'offrir le meilleur prix sur les petits produits quotidiens, le hard-discount a trouvé dans les produits dérivés comme l'informatique un moyen de créer du trafic tout en augmentant le panier moyen. Mais à l'inverse de la grande distribution, ce circuit n'entretient aucune ambition sur le créneau. « Ils n'ont pas la volonté d'approfondir cette gamme car ils n'ont pas la surface pour construire un rayon micro », observe Patrick Faubert. Là où un hyper s'étale sur des milliers de mètres carrés, un magasin Lidl ne dispose en effet que de 600 ou 800 m2. Mais leur appétit à faire des coups cause quand même des sueurs froides aux marques, soucieuses d'harmoniser les prix. Sans oublier les dommages que cela entraîne dans le réseau de distribution à cause de la profusion de tarifs différents. « Aujourd'hui, le cycle de vie d'un produit est inférieur à six mois et le vrai souci sur le marché grand public, c'est de commercialiser le bon produit au bon prix et au bon moment. Parfois, ça se joue à moins d'un mois près », souligne Éric Arnoult, le directeur commercial d'Aipek, un fabricant de caméscopes et autres appareils photo numériques. Christophe Delorme abonde dans ce sens. « Le hard-discount est peut-être idéal pour gérer la fin de vie d'un produit, admet le directeur de la division grand public de Lexmark, lequel disposerait d'un droit de regard théorique sur les opérations négociées en Allemagne par Aldi. Sauf qu'aujourd'hui, tout le monde demande des produits en fin de vie. » Un véritable phénomène de société Dans le puzzle du marché grand public en perpétuelle recomposition, le hard-discount peut compter sur un redoutable atout : il est devenu un véritable phénomène de société. Selon une étude de l'Observateur Cetelem, 72 % des Français déclarent avoir déjà fréquenté une enseigne alimentaire de ce type. Au plan national, ce circuit représenterait déjà pas moins de 13 % de la valeur du marché total de grande consommation, en accaparant 28 % de la totalité des achats des consommateurs. À l'heure où le modèle déborde du rayon alimentaire pour s'attaquer avec succès à d'autres secteurs, toute la question est de savoir si la part qu'il détient dans le commerce national grimpera autour des 35 % comme en Allemagne ou même des 30 % comme en Belgique. Si tel était le cas, il deviendrait un canal incontournable pour la plupart des marques, ne serait-ce que sur le plan de la visibilité.

La concurrence des e-discounters

Quoi de plus facile que de casser les prix de produits à forte valeur ajoutée comme l'informatique. En jouant sur le volume et en appliquant leur marge habituelle de 2 ou 3 % aux produits micro, les Aldi et autres Lidl réalisent de belles opérations. Ils doivent cependant composer de plus en plus avec la concurrence des sites de e-commerce. Le canal de vente sur Internet a réussi une belle percée, comme le prouvent les 8,7 millions de visites sur Cdiscount.com et les 4 millions sur Pixmania.com au 1er trimestre (chiffres Médiamétrie). Selon l'institut GfK, ce canal pèserait déjà 10 à 15 % des ventes de micro-informatique. Et selon Cetelem, le e-commerce représenterait 25 % des achats de produits blancs, bruns et gris en France, alors que 66 % des Français se disent prêts à faire leurs achats en hard-discount pour ces types de produits. Après les abus de la première heure, le e-commerce s'est rasséréné. Mais quand la trésorerie fait défaut, les vieux démons resurgissent. « Chacun casse régulièrement les prix », observe Thierry Jouve, responsable de la division revendeurs de Maxdata. Dès lors, difficile d'orchestrer les tarifs et de maintenir un semblant d'harmonie dans les canaux auxquels les fabricants font appel. « Le seul moyen d'éviter que les prix décrochent de 20 % voire de 30 %, c'est de stratifier sa distribution selon la clientèle », affirme Carole Cesbron, responsable commerciale pour la France de PNY. Car comme le rappelle Olivier Medam, directeur de la division grand public de Fujitsu Siemens, « une promotion, ça se prépare ». Sauf qu'entre les soldes, les anniversaires et les fêtes, il y a toujours une bonne raison pour brader.

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