La filière de recyclage des déchets à l'épreuve

Après un démarrage parfois cahoteux, le nouvel étiquetage des produits est en place dans la grande distribution. Les consommateurs semblent acquitter de bon gré une contribution symbolique. Mais des zones d'ombre subsistent.

Déchets d'équipements électriques et électroniques ou DEEE. Ce sigle recouvre un ensemble de mesures édictées par l'Union européenne pour aider au recyclage de matériels d'informatique et d'électroménager. Responsabilisé, le consommateur est mis à contribution au travers d'une écotaxe appliquée sur les produits achetés en grandes surfaces, moyennant la possibilité de rapporter un ancien matériel pour qu'il soit traité. Cette disposition, qui devait entrer en vigueur en janvier 2007, a été avancée au 15 novembre 2006 par un gouvernement soucieux d'afficher un visage écologiste. La décision d'organiser un traitement des déchets remonte à la fin 2002, et les constructeurs ont donc eu le temps de s'y adapter. Pour mémoire, quatre éco-organismes ont été constitués pour cela : Ecologic, ERP, Recyclum et Eco-Systèmes. Christian Bertrand, dirigeant de la commission environnement du Syndicat national des entreprises de systèmes et solutions d'impression (Snessi), explique pourquoi le gouvernement a fait ce choix du pluralisme : « Reconnaître plusieurs éco-organismes permettait d'introduire une compétition entre eux. » En clair de déterminer qui pouvait assurer au meilleur prix le traitement, y compris la récupération des composants. «Nous avons hérité du système le plus compliqué d'Europe puisque nous avons quatre éco-organismes avec des normes différentes », commente Denis Vicherat, directeur du développement durable pour la Fnac. Alors que dans d'autres pays les éco-organismes sont beaucoup mieux différenciés selon les types de produits ou leur position géographique, en France, un PC peut aussi bien relever d'ERP, d'Ecologic que d'Eco-Systèmes, note-t-il. « Or les taux et les modes de calcul sont différents selon ces organismes. » Une opération à présent bien rodée Mais, concrètement, comment s'est passée la mise en place de cette DEEE ? Chez les éco-organismes, l'appréciation est plutôt optimiste. « Ça n'a pas été facile pour les industriels d'adapter les systèmes pour récupérer les donnés et facturer, admet Arnaud Brunet, directeur des relations extérieures de Sony France et représentant pour la France d'ERP. Néanmoins le bilan est globalement satisfaisant. Il y a probablement des revendeurs, surtout les toutes petites enseignes, qui n'étaient pas prêts le 15 novembre, mais on ne peut pas leur en faire grief. » Les éco-organismes ont entamé en temps et en heure les opérations de supervision du recyclage, qui concerneraient d'ores et déjà plusieurs millions de personnes. « Nous n'avons pas encore atteint notre rythme de croisière mais les tonnages commencent à monter. L'objectif de 4 kg de déchets par habitant devrait être atteint courant 2007. » Jugement similaire chez Ingram Micro. Dg adjoint du grossiste, Pierre-Yvon Mechali considère lui aussi que tout s'est bien passé, même si l'opération a engendré un énorme travail administratif. « Nous avions contacté tous nos partenaires six mois auparavant, et avions mis en place des processus spécifiques avec l'aide de juristes au niveau européen. Il n'y a pas eu de "mauvais élève" parmi les dizaines de fournisseurs avec qui nous travaillons. Et, à présent, cela roule tout seul. » Du côté des constructeurs, Philippe Hartmanshenn, directeur opérations et services chez Toshiba Systèmes, se veut tout aussi rassurant. « Globalement, c'est un énorme chantier qui a pris au moins deux ans. » Tout a commencé par une directive, RoHS, qui a contraint les constructeurs à éliminer de la fabrication six produits hautement polluants tels que le plomb ou le cadmium. Heureusement, le groupe Toshiba avait déjà investi dans l'économie d'énergie avec des actions allant de la conception des produits jusqu'à leur recyclage. La DEEE a donc été gérée dans le cadre de ce programme international. « Nous nous sommes astreints à suivre le plus haut niveau d'exigence écologique demandé dans les divers pays desservis et l'avons appliqué à toute la gamme. » La filiale française gardait cependant des obligations propres : « Même si les produits n'étaient pas conçus dans l'Hexagone, en tant qu'introducteur sur le marché français, nous avions la totale responsabilité de la vérification des composants. » Et c'est là que les vrais problèmes se sont posés. Illustration : « Il y a seulement un an, aucun laboratoire n'était capable de vérifier si les soudures d'une souris ne comportaient pas de plomb », rappelle le dirigeant de Toshiba. Mais, par rapport aux efforts globaux qu'exigeait la DEEE, la mise en place d'une filière de recyclage a paru simple et s'est déroulée sans anicroche. Les grandes enseignes sur la brèche Qu'en est-il chez HP France qui, bien que contraint et forcé, a été opérationnel pour la mise en oeuvre de la DDEE dès septembre 2006 ? Son secrétaire général, Christophe Stener, apprécie que la directive « mette la pression sur les constructeurs en vue de faire des produits moins polluants ». Il n'en assimile pas moins la mesure à une opération «vide-grenier » et se montre réservé sur la méthode adoptée. « Faiblesse des sommes en cause, complexité des processus de facturation, lourdeur des tâches administratives... Le coût de gestion est bien plus élevé que le rapport », résume-t-il. Du côté de la Fnac, on entend un autre son de cloche. « Au 8 novembre 2006, une semaine avant le démarrage de l'opération, le tiers des producteurs n'avaient pas répondu à nos demandes, faute de s'être décidés pour un éco-organisme », raconte Denis Vicherat. Les choses furent d'autant plus compliquées que la Fnac commercialise quelque 10 000 produits en provenance de 200 fournisseurs... « Soit près de 400 000 étiquettes en incluant tous les magasins. » Heureusement, presque tous les fournisseurs ont désormais fait leur choix. La Fnac a décidé de travailler exclusivement avec Eco-Systèmes pour la collecte des anciens produits. Mais que se passera-t-il en cas d'achat d'un PC d'une marque affiliée à ERP, comme Sony ou HP ? « En fin d'année, ils feront leurs comptes entre eux », lâche Denis Vicherat. Les éco-organismes étant en compétition, certains constructeurs affiliés à l'un d'entre eux pourraient changer de partenaire en cours de route. Aussi les enseignes comme la Fnac doivent-elles se préparer à faire évoluer les étiquetages au gré de ces variations. « Finalement, c'est aux grands distributeurs comme nous qu'est revenu l'essentiel du travail », déplore Denis Vicherat. Cependant, le principal écueil à la mise en oeuvre de la DEEE reste le problème des produits « professionnels ». Quand des ordinateurs sont vendus à un grand client, comme une collectivité locale, le décret prévoit que le vendeur se charge de collecter les produits en fin de vie, mais ne comporte pas d'obligation. Car l'acheteur peut déclarer qu'il s'occupera lui-même du recyclage. « Le gouvernement n'a imposé la contribution qu'aux ménages, en laissant la liberté aux professionnels, explique Christian Bertrand. Par exemple, sur les appels d'offres de marché public, celui qui met en vente le produit peut proposer au client un service de reprise qu'il lui fera payer. Le client peut accepter la proposition de recyclage ou la refuser ; il sera alors libre, au moment opportun, de s'adresser à des organismes agréés. » Il est étonnant qu'une telle latitude soit laissée aux utilisateurs. Le responsable du Snessi estime qu'il y a là une grosse faille dans la législation : « L'utilisateur n'est tenu à aucune obligation de reporting. »De fait, des distributeurs vivraient mal cette situation. Jean-Louis Larrieu, représentant de la Fédération de l'équipement du bureau (FEB), déplore que certains vendeurs de matériels doivent, à leur corps défendant, faire payer l'écotaxe alors qu'ils n'y sont pas tenus légalement. Après une rencontre au ministère de l'Écologie, il tonne : « Le matériel professionnel n'est pas concerné, et nous n'avons donc pas à transmettre cette chaîne de taxe. Pourtant, on nous la facture, et il faut alors la répercuter. Il y a donc un quiproquo... » Un enjeu planétaire Où se situe exactement le problème ? Sur une certaine frange d'équipements, en particulier les ordinateurs. Or, à en croire Jean-Louis Larrieu, « les constructeurs ont décidé que tel matériel était professionnel et tel autre grand public ». « Quand on est dans le second cas de figure, la taxe remonte. » HP, par exemple, « a décidé que tous ses PC étaient grand public », assure-t-il. Une affirmation contre laquelle Christophe Stener s'inscrit en faux. « La politique de HP consiste à différencier les gammes professionnelles non assujetties à la contribution environnementale de celles, grand public, qui le sont. Distinguer nos gammes n'a pas été facile mais nous l'avons fait. » Et de renvoyer la balle : « Certains constructeurs n'ont pas forcément la même conception. » En pratique, entre un PC grand public haut de gamme et un PC professionnel bas de gamme, la frontière n'est pas toujours aisée à définir. Cela ne simplifie guère les choses, en particulier quand le professionnel concerné est une PME du genre cabinet d'avocats... Tout cela pourrait paraître bien compliqué. Pourtant, Christian Bertrand veut ramener les choses à leurs justes proportions. « J'explique à nos clients que cette question va bien au-delà des problèmes de chiffres d'affaires à réaliser. L'Europe manifeste une réelle volonté de traiter les déchets et c'est le futur proche de cette planète qui dépend de telles mesures. »

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