Télétravail : les télétravailleurs se rebiffent contre la surveillance à distance

Face à une méfiance grandissante, certains employeurs utilisent des logiciels automatisés, dits bossware, pour surveiller en temps réel l’activité de leurs salariés. (Crédit K.Bolovtsova/Pexels)

Face à une méfiance grandissante, certains employeurs utilisent des logiciels automatisés, dits bossware, pour surveiller en temps réel l’activité de leurs salariés. (Crédit K.Bolovtsova/Pexels)

La montée du télétravail a fragilisé la confiance entre employeurs et salariés. Tandis que les premiers recourent à des logiciels espions pour renforcer le micromanagement, les seconds ripostent avec des outils simulant une activité devant l'écran.

Depuis la pandémie de Covid-19, le télétravail s'est généralisé dans de nombreux secteurs, entraînant une montée en puissance des outils numériques de surveillance en temps réel. De plus en plus d'entreprises adoptent ces technologies pour contrôler la productivité de leurs employés à distance. Dans un climat de méfiance croissante, certains employeurs ont ainsi recours à des logiciels de surveillance automatisée ( StaffCop, Teramind, Hubstaff, CleverControl ou Time Doctor), appelés bossware, conçus pour suivre en continu l'activité des collaborateurs. Jugée intrusive par de nombreux salariés, cette pratique suscite une vague de contestation, ainsi que des tentatives de contournement visant à échapper à ces dispositifs de contrôle.

Si l'utilisation de ces logiciels fait l'objet d'une régulation stricte en Europe, notamment en matière de protection des données personnelles, ils restent légaux dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis. L'association à but non lucratif Coworker.org, soutenant les droits des salariés, recensait dès 2021 plus de 550 outils de surveillance exploitant des technologies avancées telles que l'IA, la géolocalisation ou la biométrie. Depuis, leur nombre a continué de croître, s'adaptant aux formes de travail hybrides et dématérialisées.

Des contre-mesures technologiques pour tromper la surveillance

Pour contrer ces dispositifs de contrôle, certains salariés s'équipent de mouse movers ou mouse jigglers, des petits appareils physiques qui déplacent imperceptiblement le curseur de la souris afin d'éviter les alertes d'inactivité. D'autres recourent à des logiciels gratuits simulant une activité clavier ou souris. Leur usage s'est fortement répandu depuis 2020, bien que leur installation soit parfois limitée par les droits administrateurs sur les terminaux professionnels.

Mais cette course à la contre-surveillance n'est pas sans conséquences. En juin 2024, l'agence Bloomberg révélait que la banque d'investissement américaine Wells Fargo & Co. avait licencié plus d'une douzaine de salariés, soupçonnés d'avoir simulé leur activité pour faire croire à une présence constante devant leur écran. Selon une note adressée à la Finra (l'Autorité américaine de régulation du secteur financier), ces collaborateurs de l'unité de gestion de patrimoine et d'investissements auraient utilisé des moyens techniques pour imiter une activité clavier, donnant l'illusion d'un travail en cours.

Un encadrement plus strict en France

En France, la surveillance des salariés est encadrée par le règlement général sur la protection des données (RGPD), qui impose des principes de proportionnalité et de transparence. Malgré ce cadre réglementaire clair, de nombreuses entreprises ont néanmoins recours à des outils de surveillance pour suivre l'activité de leurs collaborateurs, en particulier depuis la généralisation du télétravail. Selon une étude récente de la société Software Advice publiée en avril 2023, près d'un répondant sur deux (46 %) parmi un panel de 896 employés français, composé de salariés et de managers affirme que leur entreprise utilise ce type de logiciels.

Néanmoins, la Cnil rappelle régulièrement que ces outils ne doivent en aucun cas porter atteinte aux droits fondamentaux des employés. En décembre 2024, elle a infligé une amende de 40 000 € à une entreprise du secteur immobilier pour avoir mis en place un dispositif jugé excessif. Ce dernier comprenait un logiciel de télésurveillance installé sur les ordinateurs des télétravailleurs, enregistrant les périodes d'inactivité et capturant des images d'écran à intervalles réguliers. Sur site, les salariés étaient en outre filmés en continu, avec captation sonore, sans information préalable ni consentement explicite.

Des pratiques à risque

Ces dispositifs révèlent un climat de défiance entre employeurs et employés. Or, la confiance reste un levier fondamental d'engagement et de fidélisation. Par ailleurs, le recours à ces outils soulève des enjeux de cybersécurité : les logiciels de surveillance collectent un volume important de données sensibles personnelles et professionnelles susceptibles d'être exposées en cas de faille ou de cyberattaque. Les employeurs ont donc la responsabilité de garantir la sécurité des données recueillies, qu'elles concernent le suivi d'activité, la sécurité interne ou encore les processus de recrutement. Les salariés, quant à eux, doivent être pleinement informés de leurs droits, notamment en matière de protection de la vie privée au travail.

Et les suites bureautiques

La plupart des outils de productivité modernes offrent une série d'indicateurs à l'échelle individuelle ou de l'équipe. Par exemple, Microsoft, le plus gros éditeur de logiciels de productivité, a un outil spécifiquement conçu pour surveiller le comportement, dénommé Workplace Analytics. Celui-ci est utilisé par des entreprises comme Vodafone ou Unilever pour exploiter les données d'Office 365, en fournissant des indicateurs comportementaux comme le nombre d'e-mails qu'une personne envoie chaque jour. (Microsoft a également une application, MyAnalytics, qui permet à chaque travailleur de suivre sa propre productivité.) La fonctionnalité Insights de Google Work fournit des outils analytiques pour suivre les pratiques de collaboration dans Workspace (l'ex-G Suite), comme le temps passé en réunion, avec une vue agrégée d'au moins dix employés. Et même si ce n'est pas forcément un gage réel de productivité, la partie analytique de Slack peut indiquer quels employés ont envoyé le plus de messages sur une période donnée.

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