
Une étude danoise relativise les gains de productivité promis par l'usage des assistants IA. (Crédit Photo: OpenAI)
Une étude récente a révélé que les chatbots de GenAI n'améliorent pas de manière significative la productivité ou l'efficacité des organisations.
Alors que l'IA générative se diffuse de manière fulgurante dans le monde professionnel, le National Bureau of Economic Research a publié en mai une étude avançant que les assistants IA n'améliorent significativement ni la productivité ni l'efficacité des entreprises. En effet, après avoir analysé un large éventail de salariés et de tâches, les chercheurs constatent que malgré les investissements massifs des organisations, les chatbots d'IA n'ont eu qu'un impact modeste sur la productivité des travailleurs, avec une économie moyenne de seulement 2,8 % du temps de travail. Ces gains se traduisent par ailleurs rarement par une hausse des rémunérations, les augmentations observées étant comprises entre 3 % et 7 %.
Des écarts sur les gains en fonction des études
Pour autant, le tableau n'est pas entièrement négatif. Les auteurs de l'analyse nuancent leurs conclusions en soulignant que les assistants génèrent un gain de temps pour 64 % à 90 % des utilisateurs, même si les effets sur la qualité du travail et la satisfaction varient considérablement, y compris parmi ceux qui ne les utilisent pas directement. Le rapport rappelle également que d'anciennes études estimaient que les gains de productivité étaient souvent supérieurs à 15%. Toutefois, « il reste difficile de savoir comment ces gains se traduisent en termes de revenus ou de temps de travail, car les données microéconomiques de qualité sur ces résultats sont rarement disponibles », écrivent les chercheurs.
Par ailleurs, ces études se sont généralement concentrées sur des emplois susceptibles de bénéficier le plus de l'apport des outils d'IA, dans les environnements où l'usage des chatbots est encouragé et pleinement soutenu par les employeurs. En élargissant l'analyse à une plus grande diversité de professions, les gains apparaissent nettement plus modestes. « Ces résultats invitent donc à la prudence quant à l'extrapolation directe des gains de productivité observés en conditions contrôlées à l'ensemble de l'économie », souligne le rapport.
Un accompagnement nécessaire par l'entreprise
Pour leur étude, les chercheurs se sont appuyés sur deux grandes enquêtes menées au Danemark, et couvrant 25 000 salariés dans 7000 lieux de travail et 11 professions différentes (comptables, spécialistes du service client, conseillers financiers, professionnels des ressources humaines, développeurs logiciels, techniciens de support informatique, spécialistes du marketing, spécialiste du droit, etc.). Bien que l'analyse mette en évidence un usage généralisé de l'IA, encouragé par les employeurs via des formations et des modèles internes, la technologie a eu un impact économique limité sur les travailleurs concernés. « Les assistants IA n'ont eu aucun effet significatif sur les revenus ou les heures enregistrées, quelles que soient les professions », indique le rapport. « De modestes gains de productivité (une économie de temps moyenne de 3%), combinés à une faible répercussion sur les salaires, expliquent en grande partie ces effets limités sur le marché du travail. ».
Les chercheurs estiment que l'impact de l'IA générative sur le marché du travail reste incertain pour trois raisons principales : les entreprises n'intègrent pas encore pleinement ces outils, les bénéfices des chatbots varient selon les tâches, pouvant parfois devenir négatifs, et les données reliant les gains de productivité aux salaires ou aux horaires de travail restent limitées. Les employeurs jouent ainsi un rôle majeur dans l'adoption des chatbots d'IA, notamment par l'incitation, le développement de modèles internes (dans 38 % des cas), et la formation (concernant 30 % des salariés). Ces efforts ont alors permis de faire passer le taux d'usage de 47 % à 83 %, indiquent les experts. Surtout, les bénéfices des assistants sont de 10 % à 40 % plus élevés lorsque leur usage est activement promu par l'entreprise, ce qui souligne l'importance du soutien organisationnel.
Le défi du retour sur investissement
En complément de l'étude danoise, une enquête récente menée par IBM auprès de 2000 dirigeants révèle que seuls 25 % des projets d'IA atteignent les objectifs de retour sur investissement. Par ailleurs, 64 % des sondés affirment investir dans l'IA principalement pour ne pas être distancés par la concurrence. Selon les données récentes d'IBM, on observe un recentrage des stratégies en matière d'IA : seuls 6 % des entreprises déclarent désormais utiliser l'IA de manière ponctuelle ou improvisée, contre 19 % l'année précédente.
Manish Goyal, vice-président et partenaire senior en charge de l'IA et de l'analytique chez IBM Consulting, identifie trois bonnes pratiques que les entreprises oublient parfois lors du déploiement de l'IA. Tout d'abord, il s'agit d'aligner les usages de l'IA sur les priorités stratégiques ; ensuite, il faut construire des fondations techniques solides ; enfin, il est question d'accompagner le changement et développer les compétences nécessaires pour favoriser l'adoption et la croissance. « Les clients obtiennent les meilleurs retours sur investissement lorsqu'ils appliquent l'IA à des processus horizontaux à grande échelle, comme le développement de logiciels, le service client, le marketing, les opérations ou l'informatique, généralement avec un humain dans la boucle », explique Goyal dans un courriel adressé à Computerworld. « Dans une perspective sectorielle, nous constatons que les secteurs des télécommunications, du commerce de détail et de la banque utilisent efficacement l'IA, notamment dans les services à la clientèle. ».
L'IA générative à l'épreuve du « creux de la désillusion »
L'année dernière, Gartner Research estimait que l'IA générative était en train de glisser dans ce qu'on appelle le « creux de la désillusion » (trough of Disillusionment). Cette tendance reflète un décalage entre les attentes élevées et la réalité, des difficultés rencontrées par les entreprises pour faire mûrir leur ingénierie des données et leur gouvernance de l'IA, ainsi que d'un retour sur investissement souvent intangible pour de nombreuses initiatives liées à la GenAI. Le « creux de la désillusion », selon Gartner, désigne la phase où l'intérêt pour une technologie prometteuse diminue, lorsque les expérimentations et les premières implémentations ne répondent pas aux promesses initiales. « Nous pensons qu'une grande partie de l'IA dite « classique » commence à remonter la pente après le creux. En revanche, la genIA est encore en train de combler ce creux. L'IA agentique, elle, se situe plus haut, proche du sommet », a indiqué Whit Andrews, vice-président et analyste chez Gartner, dans un courriel adressé à Computerworld.
Les propres recherches de Gartner montrent toutefois que certaines formes d'IA ont un impact réel sur l'efficacité des travailleurs. Par exemple, une enquête récente a révélé que l'IA permettait aux utilisateurs d'économiser en moyenne 5,4 heures par semaine, soit environ 12 % du temps de travail hebdomadaire, selon Andrews. Ce résultat est assez proche de celui de l'étude danoise, compte tenu de la marge d'erreur. Les différences entre les deux rapports pourraient d'ailleurs s'expliquer par des méthodologies distinctes. « Les travailleurs nous disent qu'ils gagnent effectivement du temps grâce à l'IA », confirme Andrews.
Pourtant, les recherches chez Gartner montrent également que les équipes ayant mis en oeuvre de l'IA traditionnelle ou générative ne sont pas significativement plus susceptibles de déclarer des gains de productivité élevés que celles ayant adopté d'autres technologies, comme l'automatisation des processus robotiques (RPA) ou la blockchain.« Bien que les gains de temps liés à l'adoption de l'IA soient importants (5,4 heures par semaine et par personne), plus des deux tiers de ce temps sont réaffectés à des activités sans réelle valeur ajoutée », indique le rapport de Gartner. Alors que les différentes formes de genIA commencent à perdre en popularité au sein des organisations, le recentrage sur le retour sur investissement (ROI) pourrait favoriser l'adoption d'une IA autonome, sous forme d'agents intelligents, une approche perçue comme plus prometteuse en matière de productivité et d'efficacité, selon Gartner.
Les agents d'IA : la prochaine révolution après les chatbots
Selon le dernier sondage Technology Pulse du cabinet Ernst & Young, plus de 500 cadres dirigeants du secteur technologique anticipent une montée en puissance des agents d'intelligence artificielle. Le rapport révèle que 48 % d'entre eux ont déjà adopté ou déployé ces agents, et que la moitié de ces décideurs prévoit que plus de 50 % des déploiements d'IA dans leur entreprise seront autonomes d'ici deux ans.
Une autre enquête, menée par Box auprès de 1 300 responsables informatiques, révèle une nette division entre les organisations ayant adopté l'IA de manière stratégique et celles qui en sont encore aux premières étapes de l'adoption. Les premiers utilisateurs d'agents d'IA constateraient en effet des retours sur investissement significatifs, avec une amélioration moyenne de 37 % de la productivité, selon le rapport. L'IA devient ainsi un levier central dans l'organisation du travail.
Au total, 87 % des organisations utilisent déjà des agents d'IA, dont 41 % pour des tâches entièrement autonomes. Cependant, la majorité d'entre elles reste en phase de transition : beaucoup doivent encore former leurs équipes et combler le déficit de compétences pour exploiter pleinement le potentiel de ces technologies. « Je pense que la vraie question avec une technologie aussi puissante que l'IA, c'est : voulez-vous gagner du temps dans ce que vous faites déjà, en faire plus, le faire mieux, ou changer complètement le fonctionnement de votre secteur ? », interroge Andrews, analyste chez Gartner. « Comment voulez-vous recomposer votre activité ? ». Il met en garde contre une vision trop étroite : « Lorsqu'une entreprise se limite à chercher des gains d'efficacité, elle se condamne à une perte d'importance stratégique : elle ne renforce pas sa valeur auprès de ses clients. »
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