
Laurent Levy, Inop's : « Les sous-traitants sont tout simplement invisibles car il porte le costume d’un autre ! »
Difficile pour les TPE et PME du numérique de contracter en direct avec les grandes entreprises... Résultat : elles opèrent souvent en tant que sous-traitantes des grandes SSII, ce qui les empêche d'être reconnues et les soumet à des difficultés financières. Le point sur ces pratiques.
En cette nouvelle année 2015, les prestataires de services IT n'ont pas vraiment le moral. Selon le dernier baromètre d'Inop's, établi auprès de 300 PME du numérique, celles-ci cumulent en effet les difficultés : baisse des tarifs, problèmes financiers, recrutements compliqués... Mais surtout, elles ont du mal à accéder aux appels d'offres des grandes entreprises, notamment dans le secteur privé. Le problème ne date pas d'hier et la cause est toujours la même : les petites SSII et les consultants indépendants sont peu ou pas référencés par les grands donneurs d'ordres. Selon la dernière enquête semestrielle du syndicat Cinov-IT menée auprès de 100 TPE et PME du secteur, 64 % ne figurent effectivement pas dans une liste de fournisseurs référencés par une organisation.
Résultat : ce sont les grandes SSII comme Cap Gemini, Steria (désormais Sopra Steria) ou encore Atos, qui captent les marchés et sous-traitent les prestations auprès de leurs homologues de moindre envergure. « Aujourd'hui, 5 à 10 grandes SSII généralistes se partagent à elles seules près de 80 % du marché de la prestation intellectuelle IT », déplore par exemple Laurent Levy, président d'Inop's, un réseau qui fédère plus de 160 sociétés de services informatiques. Du côté de ces grandes SSII, il semble y avoir un malaise à communiquer sur le sujet - la plupart n'étant bizarrement pas disponible pour répondre à nos questions- et aucune n'évoque le terme de "sous-traitants", préférant plutôt parler de "partenaires".
Des prestataires invisibles aux yeux des grands comptes
Pourquoi certains prestataires ne parviennent-ils pas à être référencés par les grands donneurs d'ordres ? En général parce qu'ils sont jugés trop petits, en termes de chiffre d'affaires et/ou de masse salariale, ou bien parce qu'on leur demande de constituer un dossier juridique tellement lourd et complexe pour une petite structure qu'ils abandonnent, constate le syndicat Cinov-IT. Pour couronner le tout, Ils ne peuvent même pas espérer que le fait d'intervenir sur des projets pour le compte d'une grande SSII leur permettra de faire connaître leurs compétences aux clients. « Ils sont tout simplement invisibles car ils portent le costume d'un autre ! », résume Laurent Levy. D'où un autre problème : celui de la propriété intellectuelle. En effet, un sous-traitant qui développera, par exemple, un logiciel, ne verra pas son nom associé à cette création. Seule l'entreprise qui a capté le marché apparaîtra...
Marges réduites et paiements tardifs
L'impact le plus fort du statut de sous-traitant porte sur les rémunérations des petites SSII. Elles se voient proposer des tarifs plus bas que ceux du marché, du fait des marges prélevées par les prestataires de rangs supérieurs. Ces derniers sont souvent deux ou trois, parfois jusqu'à 6, entre le sous-traitant de bout de chaîne et le client. Positionnées au premier rang, les grandes SSII prennent, selon nos interlocuteurs, au minimum 20 % de marge et souvent jusqu'à 30 voire 35 % ! Ce qui ne fait plus grand chose pour les différents intervenants placés derrière elles, notamment pour le dernier maillon... Le système est, selon Laurent Levy, « hypocrite et malsain. Il y a une perte de marge considérable pour ces petits prestataires, mais aussi une perte d'identité qui influe notamment sur leur capacité à recruter », déplore-t-il.
Et qui dit cascade de sous-traitants, dit aussi délais de paiements rallongés. En dépit de la loi de modernisation de l'économie (LME) qui, depuis 2009, plafonne ces délais à 60 jours maximum, il est encore courant que les sous-traitants soient payés au bout de trois ou quatre mois. Plus précisément, l'enquête de Cinov-IT révèle que les délais dépassent 45 jours dans un tiers des cas ! « Chez les grandes SSII, il faut parfois jusqu'à 6 signatures en interne pour déclencher le paiement des sous-traitants, ce qui rallonge d'autant les délais », témoigne Laurence De Rocca-Serra, directrice générale du groupement Alliance High Tech. Pas évident à gérer, en particulier en temps de crise...
Le choix de la quantité au détriment de la qualité
La situation des TPE et des PME des services IT est d'autant plus paradoxale que ces sociétés sont souvent des hyperspécialistes avec des compétences pointues et une grande capacité d'innovation. Elles ont donc la même légitimité que les grandes SSII pour apporter leur expertise aux grandes entreprises. Or, « les problèmes liés à la sous-traitance ont toujours existé et le phénomène s'est même accéléré ces dernières années avec la politique de massification des achats des donneurs d'ordre », constate Laurent Levy. Depuis quelques années, les grands comptes ont en effet limité davantage le nombre de leurs fournisseurs pour mieux négocier les tarifs, au détriment de la qualité. Mais tout n'est pas noir, car un certain nombre d'acteurs commencent à organiser leur riposte...
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