Comment Lisa Su a redressé AMD

Depuis l'arrivée de Lisa Su à la direction d'AMD, la compagnie a enfin pu relever la tête et relancer la compétition avec Intel. (Crédit AMD)

Depuis l'arrivée de Lisa Su à la direction d'AMD, la compagnie a enfin pu relever la tête et relancer la compétition avec Intel. (Crédit AMD)

Laissé pour mort il y a cinq ans, AMD a réalisé un retour fracassant avec ses derniers composants (CPU et GPU), mais il reste encore beaucoup à faire.

En 2016, la survie d'AMD ne tenait qu'à un fil. Faute d'innovation, ses ventes avaient considérablement chuté pour passer en dessous du milliard de dollars par trimestre. Ses processeurs pour PC et serveurs n'étaient plus compétitifs par rapport à ceux d'Intel. La part de marché de ses puces Opteron pour serveurs était inférieure à 1 %. Ses produits GPU Radeon étaient un peu meilleurs, mais Nvidia avait la mainmise sur ce marché. Puis deux choses se sont produites : Lisa Su a accédé au poste de CEO et elle a lancé le développement de la microarchitecture Zen, une refonte complète de la plateforme x86. Le résultat ? Les processeurs Epyc pour serveurs représentent désormais une part de marché comprise entre 10 %, selon Mercury Research, et 16 %, selon Omdia. Les puces de bureau Ryzen ont conquis les joueurs. Et au troisième trimestre 2021, AMD a annoncé un chiffre d'affaires de 4 milliards de dollars, soit plus en un trimestre que pour l'ensemble de l'exercice 2015 (3,9 milliards de dollars).

La Silicon Valley a connu quelques retours de situation notables, mais peu ont pu surpasser le retournement de fortune qu'a connu AMD. « Ils ont été constamment sur une ligne visant à réaliser des gains importants en termes de parts de marché, et je pense que la plus grande opportunité qu'ils voient est dans le datacenter », a déclaré Daniel Newman, analyste principal chez Futurum Research. « Et bien sûr, la société a bénéficié d'un certain nombre de difficultés chez Intel, et ils ont été en mesure d'exploiter ces difficultés avec beaucoup de succès. » Le mérite en revient en grande partie à Lisa Su. Armée d'un doctorat en génie électrique du MIT et d'un passage chez IBM, Texas Instruments et Freescale avant de rejoindre AMD en 2012, ses qualifications sont irréprochables. « Lisa Su a fait un travail formidable à la tête de l'entreprise, en faisant apparemment tous les bons gestes aux bons moments », a précisé M. Newman. « Elle est l'un des meilleurs CEO du secteur des nouvelles technologies, sans conteste », a rapporté Jim McGregor, analyste principal chez Tirias Research. « Cependant, je ne vais pas seulement lui accorder du crédit. Je vais aussi donner du crédit à Devinder Kumar, [directeur financier d'AMD], parce que tous les deux ont vraiment sauvé AMD. » Pendant les périodes de vaches maigres, Devinder Kumar a fait un travail remarquable en restructurant la dette, en repoussant les remboursements aussi longtemps que possible - en la rachetant quand il le pouvait - et en réalisant d'autres mesures d'économie comme la vente des locaux d'AMD à Austin, au Texas, pour les relouer ensuite, ce qui a permis d'obtenir des liquidités.



AMD compte améliorer la performance ses puces PC et serveurs avec la 3D V-cache, une mémoire de 192 Mo collée au processeur. (Crédit AMD)

Devenir zen L'autre moitié du puzzle est l'architecture Zen. Les anciennes conceptions d'AMD étaient au mieux moyennes comparées à celles d'Intel, mais avec Zen, AMD a fait un bond en avant en termes de performances tout en coûtant beaucoup moins cher qu'un équivalent Intel Core. Lorsque AMD a commencé à concevoir sa plateforme Zen, il est parti de zéro et a examiné non seulement ce qu'il avait fait en matière de conception de CPU, mais aussi ce que tous les autres, d'Intel à Nvidia en passant par ARM et IBM, avaient fait en matière d'architectures de processeurs. Selon M. McGregor, AMD a adopté une approche totalement nouvelle de l'architecture, de la mémoire, de la structure du pipeline, et a amélioré des éléments clefs tels que l'hyperthreading, développé à l'origine par Intel avec la série Northwood (Xeon et Pentium 4). « Je pense que la meilleure façon de décrire Zen est de dire qu'ils ont pris les meilleurs éléments du développement de l'architecture du processeur qui avaient été faits et ont dit, 'OK ... partons de zéro et développons la meilleure architecture possible' », a-t-il déclaré.

Historiquement, AMD a eu beaucoup de premières par rapport à Intel. Il a été le premier à utiliser le jeu d'instruction x86 64 bits, le premier à utiliser le double coeur, le premier à placer le contrôleur de mémoire sur la puce du processeur et le premier à intégrer un GPU à un processeur. Avec Zen, une autre première a vu le jour : le module multi-puces (MCM), une conception moins sujette aux défauts de fabrication. La fabrication des puces est un processus difficile et plus vous ajoutez de coeurs, plus il y a de transistors par CPU, ce qui signifie plus de possibilités de défaillance ou d'erreurs. Au lieu de cela, AMD a conçu des chiplets, avec huit coeurs chacun et quatre par puce pour 32 coeurs, reliés par une liaison à haut débit. Dans le passé, Intel a fait fi de ce changement de conception, mais aujourd'hui, « même Intel a admis que cela était nécessaire à l'avenir », a déclaré M. McGregor.

Les serveurs exploitant les puces AMD Epyc Milan sont proposés en mode mono et bisocket. (Crédit AMD)

La société fabless a lancé trois générations de processeurs pour serveurs Epyc basés sur l'architecture ZenLa Milan-X, présentée début novembre, comporte jusqu'à 64 coeurs et 768 Mo de cache L3 total par puce pour la conception à 64 coeurs. Elle utilise l'empilement 3D pour le cache, ce qui réduit son étalement, d'où une latence moindre. AMD affirme que ce cache de grande capacité peut améliorer les charges de travail jusqu'à 50 % par rapport aux puces de la génération précédente. AMD a également annoncé Zen 4, la prochaine génération de Zen, qui fera ses débuts en 2022 avec l'introduction de la série de processeurs Epyc Genoa. Le Zen 4 prendra en charge la mémoire DDR5, qui est considérablement plus rapide que la DDR4 tout en consommant la même quantité d'énergie, et le PCI Express Gen 5, qui double le taux de transfert par rapport au Gen 4. Le Genoa sera construit par TSMC en utilisant un procédé de gravure en 5 nm et comportera jusqu'à 96 coeurs. Enfin, la firme a également annoncé une gamme appelée Bergamo, avec une version spéciale de l'architecture centrale appelée Zen 4cC, optimisée pour les applications « cloud-native » et dotée de 128 coeurs haute performance. Bergamo devrait être livré au cours du premier semestre de 2023.

AMD en 2022 AMD est donc de retour en tant que concurrent et ne risque plus la faillite, mais il lui reste du travail à faire, a déclaré Forrest Norrod, vice-président senior et directeur général de la division datacenter chez AMD. « Je pense que nous exécutons bien sur la stratégie de centre de données que nous avons mis en place il y a six, sept ans », a-t-il déclaré. « Je pense que nous avons atteint un point d'inflexion en ce qui concerne la perception et l'acceptation d'AMD par les entreprises, ce qui était notre objectif. Avec la deuxième et la troisième génération [d'Epyc], nous avons également répondu à la question de savoir si AMD pouvait être un partenaire fiable sur le long terme. Et je pense que nous avons coché toutes ces cases ». AMD conçoit déjà des processeurs et des GPU et s'apprête à proposer de la technologie FPGA lorsque l'acquisition de Xilinx sera finalisée, ce qui est prévu pour la fin 2021.

Mais il reste encore des trous dans la raquette : des accélérateurs réseau (smartNIC ) comme chez Intel et Nvidia, une gamme mobile et des processeurs spécialisés dans l'IA. Et ne les attendez pas de sitôt, car Forrest Norrod a déclaré que l'entreprise sera prudente dans sa façon de se développer. « La dernière chose que je veux faire est de me disperser », a-t-il déclaré. « Je ne veux jamais essayer de faire huit choses [à la fois] alors que vous avez la capacité d'en faire quatre au niveau mondial. Lorsque vous vous éparpillez trop, vous faites huit choses de manière médiocre. Nous allons rester concentrés et disciplinés et, pour les marchés auxquels nous participons, nous voulons toujours produire des produits de niveau mondial », a-t-il ajouté.

Les pièces manquantes Par rapport à Intel, qui fabrique encore ses puces dans ses fonderies à la différence de son concurrent, il manque à AMD deux éléments clés sur le marché du silicium : un accélérateur réseau et une mémoire persistante. La mémoire persistante d'Intel, appelée Optane, a une vitesse proche de celle de la DRAM standard, mais avec les capacités de stockage de la NAND Flash. Elle se situe entre la mémoire et le stockage et sert de cache pour les application in-memory. Selon M. Newman, il est difficile de dire si Optane constitue une vraie menace pour AMD. « Je pense qu'Optane est un produit solide qui offre certainement des avantages aux entreprises », a-t-il déclaré. « Mais sans connaître les chiffres spécifiques concernant les succès d'Optane et le chiffre d'affaires réel des produits Optane, je n'ai pas la moindre idée s'il gagne réellement du terrain ou s'il s'agit plutôt d'un avantage théorique », a-t-il déclaré. Selon M. Norrod, AMD n'a pas besoin de concurrencer Optane. « Je pense que nos partenaires spécialisés dans la mémoire font un excellent travail pour faire avancer la technologie de mémoire, et nous allons soutenir les normes industrielles ouvertes pour la mémoire non volatile », a-t-il déclaré.



Grace, la puce HPC de Nvidia sur base ARM, est attendue en 2023. (Crédit Nvidia) Les accélérateurs réseau, parfois appelés smartNIC, sont une autre histoire. Ils déchargent le CPU du traitement des paquets IP. Outre Intel, Nvidia et Marvell proposent également des accélérateurs de réseau. Selon M. Newman, leur capacité à maximiser l'utilité des CPU polyvalents pour exécuter des charges de travail optimisées répond à un fort besoin dans les datacenters, et AMD ne peut l'ignorer. « Nous sommes à un point où nous essayons d'optimiser chaque bit de nos ressources architecturales de calcul. Donc oui, je pense que c'est une lacune qu'ils vont devoir combler soit par eux-mêmes, soit par le biais d'un partenariat », a-t-il déclaré. Mais plutôt que de fabriquer une puce réseau, M. Norrod pense que la technologie FPGA de Xilinx permettra d'offrir un niveau de traitement différent. « Il s'agit vraiment plus d'informatique adaptative pour les charges de travail orientées flux de données », a-t-il déclaré. « Il y a beaucoup d'applications cryptographiques, d'applications de mise en réseau, d'applications de sécurité et de stockage qui bénéficient également du [FPGA]. Il y a donc beaucoup de domaines intéressants que la technologie Xilinx apporte, selon nous. »

Stimuler l'activité GPU AMD prouve que le vieil adage selon lequel il faut construire une meilleure souricière est à la fois vrai et faux. Le processeur pour PC Ryzen reposant sur la microarchitecture Zen et la gamme de serveurs animés par Epyc ont apporté beaucoup de nouvelles opportunités, mais du côté des GPU, Nvidia se révèle être un adversaire redoutable. Malgré la gamme de cartes 3D Radeon qui sont presque à égalité avec les GPU Geforce RTX, Nvidia dépasse les ventes de Radeon de presque deux contre un, selon Jon Peddie Research, qui se concentre sur le marché graphique. Dans le domaine de l'IA et du calcul haute performance, la situation est encore plus déséquilibrée. Dans la dernière liste TOP500 des superordinateurs, une seule machine avait des accélérateurs GPU AMD avec ses CPU, contre 143 avec un composant Nvidia. Quand on parle d'IA, l'association se fait avec Nvidia, pas avec AMD. « Nous sommes conscients du fait que nous sommes face à un grand concurrent », a déclaré M. Norrod. « Nvidia a fait un travail magistral en construisant l'écosystème logiciel autour de ses GPU - vraiment axé sur l'IA ». Mais ne vous attendez pas à une confrontation directe. « S'élancer et essayer de reproduire tout ce qu'ils font est un jeu de dupes. Vous vous attaquez à un concurrent bien établi en essayant de copier ce qu'il fait. »

Selon M. McGregor, le véritable succès de Nvidia ne s'est pas produit du côté du silicium, mais du côté du logiciel, en commençant par le langage CUDA et en poursuivant sur cette lancée. « Nvidia a fait un travail incroyable avec son activité », a-t-il déclaré. « Que ce soit pour les jeux ou pour les applications d'entreprise, ils ont vraiment construit ces cadres logiciels. Et je pense que si AMD veut jouer dans cet espace, ils doivent peut-être changer de registre, s'éloigner un peu des architectures et se concentrer un peu plus sur les logiciels », a-t-il ajouté. L'une des choses qui a empêché AMD de gagner du terrain dans le domaine du HPC et de l'IA est qu'il n'y avait qu'une seule bibliothèque alternative à CUDA qui pouvait être utilisée sur ses GPU : OpenCL. Elle a été développée par Apple et donnée à un organisme de normalisation appelé le Khronos Group. Il y a environ cinq ans, Apple s'est retiré d'OpenCL, ce qui a laissé OpenCL à l'abandon. Khronos a publié la version 3.0 d'OpenCL l'année dernière, après un retard de trois ans par rapport à la version 2.2, de sorte qu'AMD ne peut pas vraiment compter sur elle.



Les imposantes Radeon RX 6000 viennent concurrencer les Geforce RTX 3000 de Nvidia. (Crédit AMD) AMD dispose d'un outil appelé HIP qui convertit le code CUDA en une variante du langage C neutre pour le fournisseur, et de nombreux clients ont été en mesure de prendre de très gros projets CUDA et de les transférer sur du matériel GPU AMD en quelques jours. Mais la simple conversion du code du concurrent laisse toujours AMD sans plateforme sur laquelle construire. Forrest Norrod a indiqué qu'AMD prévoit de travailler sur l'aspect logiciel des choses. « L'une des choses que je dis constamment à mon équipe est que personne ne veut acheter un serveur. Personne ne veut acheter un GPU. Ils veulent exécuter une application. Donc oui, nous investissons énormément dans le logiciel », a-t-il précisé.

Aller de l'avant AMD a connu un élan formidable en 2005-2006, puis l'a perdu avec la pagaille qu'a été le lancement de son processeur K10 Barcelona. Il était en retard, ses performances étaient insuffisantes et il était bogué. Les puces ne devraient pas avoir de bogues. Bien qu'aucun des dirigeants actuels n'ait travaillé chez AMD à l'époque, ils en ont ressenti l'impact. À l'époque, M. Norrod dirigeait l'activité serveurs de Dell et Mark Papermaster, l'actuel directeur technique d'AMD, était à la tête de l'activité serveurs x86 d'IBM. Ils ne vont pas commettre une erreur similaire ; AMD prévoit une croissance prudente.

Selon Forrest Norrod, AMD considère la fabrication de processeurs pour les stations de travail et les voitures comme de nouveaux marchés intéressants pour l'entreprise. « Je pense que ce sont toutes des opportunités fantastiques », a-t-il déclaré. « Ce sont toutes celles où vous avez tant d'opportunités de croissance, mais nous voulons nous assurer que nous faisons un excellent travail dans chacune d'entre elles avant de nous aventurer trop loin. »

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