Le recrutement, un mal français ?

Vighen Papazian est PDg et fondateur du groupe de distribution et de services Infodis. Crédit photo : D.R.

Vighen Papazian est PDg et fondateur du groupe de distribution et de services Infodis. Crédit photo : D.R.

La hausse de 0.7% du chômage en avril malgré des indicateurs économiques au vert laisse nos gouvernants perplexes. Pourtant en tant que chefs  d'entreprise, notre quotidien est marqué par la difficulté de recruter.

Un tiers des patrons français de PME sont confrontés à des problèmes liés à l'embauche.

Un constat qui vient une nouvelle fois confirmer un rapport du Conseil pour l'Orientation et l'Emploi (COE) de septembre 2013 intitulé : « EMPLOIS DURABLEMENT VACANTS ET DIFFICULTES DE RECRUTEMENT ». Ce rapport pose un diagnostic mais échoue à proposer de bons remèdes car il occulte certaines raisons « politiquement incorrectes » du problème.

Ayant créé ma société Groupe Infodis il y a 30 ans, je peux témoigner que depuis plusieurs années, les difficultés d'embauche sont réelles, en particulier dans notre secteur de l'IT, et qu'elles s'amplifient. Un aspect du problème, que je déplore comme tous mes confrères dans ce secteur, est le manque de candidats formés qui sortent des filières informatiques par rapport à la demande.

Le Groupe Infodis avec ses 250 salariés est considéré, grâce à ses résultats depuis tant d'années, comme l'une des PME 100% française les plus régulières et performantes du marché des SSII. Pourtant, nous perdons 10 ou 15% de croissance par an, faute de ne pouvoir recruter tous les profils adaptés à nos besoins. Cette année encore, en annonçant des résultats trimestriels supérieurs à nos objectifs, notre société a démontré son dynamisme mais je regrette ce potentiel manqué de croissance d'autant plus que 99% de nos embauches sont proposées en CDI !

Le rapport du COE occulte une réalité dérangeante du terrain qui met en évidence deux autres raisons majeures pour expliquer ces difficultés d'embauche :

1 - Une inadaptation de l'Education : Savoir-ETRE et pas seulement SAVOIR-FAIRE

2 - Une rémunération du NON TRAVAIL disproportionnée par rapport à celle du TRAVAIL

A l'embauche d'un candidat on recherche d'abord sa compétence métiers. Mais dans le domaine des Services une autre compétence est INDISPENSABLE : le savoir-être. Le savoir-faire est important évidemment. Il peut s'acquérir en entreprise, en travaillant, avec quelques mois d'expérience, et se renforcer au fil des années. Le savoir-être est tout aussi essentiel, mais lui ne peut plus s'acquérir en entreprise. Le déficit de savoir-être de certains reflète l'échec de l'éducation, familiale ou scolaire. Cet échec, il faut le combattre par tous les moyens car il empêche certains citoyens de prendre leur place dans la Cité, et surtout il contribue à créer et reproduire toujours plus d'INEGALITES dans le pays.

La maîtrise du français fait partie des codes, du savoir-faire et du savoir-être, qui sont des conditions de la réussite et de la place de chacun dans la société. Dans une entreprise de Services en général et de Services informatiques en particulier, la plupart de nos intervenants, vecteurs de notre image, sont en contact permanent avec les clients (téléphone, écrit ou physique) et doivent donc savoir s'exprimer en français à l'oral et à l'écrit et se comporter correctement. A l'heure où la réforme des collèges fait débat, la priorité du gouvernement devrait être donnée à la maîtrise de la langue française et des savoirs de base.

La deuxième raison de ces difficultés de recrutement, particulièrement dans notre région (l'Ile-de-France), relativement privilégiée en nombre de postes proposés, réside dans les modalités de l'indemnisation à Pôle Emploi : durée et rémunération excessives. L'impact de ce facteur s'amplifie d'année en année. Si on ajoute les pertes des avantages connexes impactant les chômeurs une fois redevenus salariés (prime pour emploi, frais de garde d'enfants, prise en charge transport, CMU...), quitter Pôle Emploi demande paradoxalement aujourd'hui un véritable courage ! Celui-là même qui manque à nos gouvernants de tous bords pour poser ce diagnostic et mettre en oeuvre des moyens efficaces pour que l'absence de travail ne soit pas rémunérée autant que le travail.

J'ai tellement d'exemples de candidats qui ne se présentent même pas pour un entretien d'embauche, et d'autres qui nous disent clairement qu'au final, et tout compte fait, ils ne percevront pour un salaire brut de 1900€ que 100€ de plus en net en travaillant plutôt qu'en restant au chômage ! Sans compter (ce qu'ils ne disent pas) qu'ils pourront faire du travail non déclaré en plus... Pire encore, l'exemple de ce candidat qui m'a expliqué que son conseiller Pôle Emploi lui avait dit en toute bonne foi, qu'il lui restait encore 18 mois de « droits » et qu'il devrait en profiter...

A vocation solidaire le système du chômage a été totalement détourné jusqu'à devenir au mieux de l'assistanat, et au pire du détournement des fonds publics. Indemniser de la même manière un chômeur dans la force de l'âge, et sans souci de santé, habitant dans un bassin d'emplois, et celui qui souffre de véritables difficultés, est contreproductif,  en aidant insuffisamment peut-être ceux qui en ont besoin et en subventionnant ceux qui n'ont pas un besoin absolu. Des solutions simples et de bon sens existent, comme créer une agence de « Solidarité Chômage » qui prendrait en charge les cas difficiles sur une longue durée, distincte d'une véritable agence pour l'Emploi sur le modèle d'une société privée, avec des indemnisations plus courtes et dégressives.

En tant que recruteur et chef d'entreprise, j'aimerais offrir des salaires plus élevés sur certains types de postes ce qui permettrait sans doute de réduire cette disparité entre le « non travail » et le « travail ». Malheureusement le coût des charges sociales limite terriblement mes possibilités. Si on y ajoute les difficultés de la séparation en cas d'inadéquation ou de baisse d'activité, tout contribue à l'entretien d'une spirale négative.

Nous sommes collectivement responsables de cette situation. Maintenir le système du chômage en l'état, c'est faire subir une triple peine à l'économie française :

Coût d'un financement excessif du chômage pour la collectivitéAugmentation du travail dissimulé et donc pertes en impôts et charges sociales correspondantsPerte de chiffre d'affaires et de résultats pour les entreprises et donc manque à gagner en impôts pour la collectivité.

Ce constat désastreux ne vise pas à nier le drame social qu'est le chômage mais à montrer qu'on peut s'en sortir. N'oublions pas que la compétition est mondialisée. Ma génération a assisté à la délocalisation massive des industries, je ne voudrais pas que celle de mes enfants assiste à la délocalisation des Services (qui a en réalité déjà commencé...).

Chers gouvernants, il est urgent d'avoir le courage d'engager des mesures pour inciter au retour à l'emploi et de faire de la maîtrise du français un enjeu national.

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