Ewigbyte mise tout sur le verre pour l'archivage

L'allemand Ewigbyte veut réinventer l'archivage en gravant les données à la surface de plaques de verre, avec des lasers et de l'optique avancée pour concurrencer les traditionnels systèmes exploitant des bandes magnétiques de type LTO.

Ewigbyte ambitionne de rebattre les cartes de l'archivage avec son stockage sur verre, visant directement le domaine réservé des bandes LTO avec une promesse de durabilité, d'immutabilité et de résistance native aux ransomwares. Le nom Ewigbyte combine le mot allemand Ewig, qui signifie éternel, et byte, l'unité de base en informatique. La start-up entend proposer une alternative souveraine et durable pour conserver les données sur des décennies, voire des siècles, tout en réduisant la complexité logicielle de protection et les coûts énergétiques des centres de données. Avant de cofonder Ewigbyte en juillet 2025, Steffen Klewitz a porté un projet très proche chez Cerabyte, dont l'objectif est de graver des QR codes de données dans des couches céramique déposées sur du verre Gorilla Glass afin de concurrencer la bande magnétique sur le long terme. Il y a été CTO pendant trois ans, à l'origine du concept de films céramique perforés au laser femtoseconde, avant de quitter l'entreprise sur fond de désaccord stratégique. Il estimait que la course à la densité atteignait ses limites physiques et économiques. « Nos idées sont devenues beaucoup plus radicales que ce que nous pouvions faire chez Cerabyte, nous avons donc décidé de repartir d'une feuille blanche », explique aujourd'hui Steffen Klewitz, CEO et cofondateur d'Ewigbyte avec Ina Dorothee von Haeften (responsable des opérations), Christian Marquart, (directeur juridique) et Phil Wittwer (CTO). Le CEO revendique désormais une vision centrée sur la vitesse d'écriture, la simplicité du média verre et une architecture de data warehouse physique, plutôt que sur des supports complexes à base de films céramiques toxiques et ultra-denses.

Des débits de l'ordre de 500 Mo/s  La technologie d'Ewigbyte repose sur l'ablation directe de la surface du verre par des lasers à ultra‑courte impulsion, sans aucun revêtement ni couche organique, pour former des blocs de données en motif de type QR code. Un modulateur spatial de lumière structure le faisceau de sorte qu'un seul tir laser grave déjà plusieurs kilo‑octets sous forme de motif complet, quand un CD ou un DVD se contente d'un seul point par tir. « Avec un seul tir, nous pouvons écrire un code bidimensionnel contenant plusieurs kilo‑octets de données, et répéter cela jusqu'à 60 000 fois par seconde », souligne Steffen Klewitz, qui vise à terme des débits de l'ordre de 500 Mo/s par tête en lecture et en écriture. La lecture se fait via une optique de microscope et une caméra, qui captent ces motifs et les décodent, dans un schéma proche de la vision industrielle mais adapté aux très forts contrastes obtenus sur le verre pur.&nbsp



Ewigbyte compte stocker jusqu'à 5 Go par face sur ce type de lamelle. (Crédit P.K)

Sur le plan de la sécurité, Ewigbyte fait le choix d'un codage et d'un chiffrement standards, sans chercher à enfermer les clients dans un format propriétaire, avec des blocs protégés par checksum et combinables à des algorithmes de hachage, par exemple SHA, auxquels est ajouté un code dérivé d'un hologramme inséré dans la plaque de verre. « Nous faisons descendre la cybersécurité au niveau physique : une fois les trous gravés, on ne peut plus les refermer, et toute tentative de modification laisse une signature que les checksums détectent immédiatement », insiste le dirigeant. Ewigbyte prévoit également d'intégrer dans le média un hologramme jouant le rôle d'empreinte physique, de sorte que l'authenticité d'un support puisse être vérifiée et liée cryptographiquement aux données enregistrées, ce qui renforce encore la protection contre les falsifications et les attaques de type exfiltration ou substitution. 

10 Go sur une lamelle double face Sur un petit support de démonstration de la taille d'une lamelle de quelques centimètres de côté, Ewigbyte indique pouvoir stocker environ 5 Go par face, soit 10 Go par bloc double face, qui devient l'unité logique de base de son système. Ces lamelles sont ensuite conditionnées dans des cartouches, elles‑mêmes regroupées dans des cubes de stockage et entreposées dans une logistique de type entrepôt automatisé, où des robots récupèrent les médias à la demande comme avec un système Spectra Logic ou Quantum. À l'échelle d'un cube, la start‑up vise un pétaoctet de données en regroupant plusieurs milliers de lamelles dans une cartouche haute densité manipulée comme une cartouche sécurisée et scellés. La feuille de route prévoit des armoires et entrepôts capables d'atteindre une densité globale d'environ 6 Po par mètre cube en empilant ces cubes dans des rayonnages automatisés pilotés par des systèmes de manutention inspirés de la logistique industrielle. « Avec environ 5 000 médias, on atteint le pétaoctet dans un seul cube ; à l'échelle d'un entrepôt, cela devient un exa‑archive sur quelques centaines de mètres carrés seulement », projette Steffen Klewitz. 



La feuille de route d'Ewigbyte prévoit des armoires et entrepôts capables d'atteindre une densité globale d'environ 6 Po par mètre cube, en empilant ces cubes dans des rayonnages robotisés. (Crédit P.K.)

Ewigbyte cible clairement les cas d'usage d'archivage froid aujourd'hui dominés par la bande LTO, en rappelant les contraintes de cette dernière, notamment la nécessité de contrôler strictement température et hygrométrie, de migrer les données tous les cinq à sept ans et la vulnérabilité aux champs magnétiques ainsi qu'aux attaques logicielles lorsque les librairies restent connectées (sans air gap). À l'inverse, le verre ne craint ni l'humidité ni la plupart des agents chimiques courants et reste insensible aux champs électromagnétiques, ce qui le protège aussi bien des pannes massives induites par des éruptions solaires que des impulsions EMP d'origine spatiale. L'aspect WORM (Write Once, Read Many) est garanti par la nature même de l'ablation, chaque bit correspondant à un cratère physique à la surface, impossible à reboucher discrètement, ce qui rend inopérant le scénario classique du ransomware qui chiffrerait les données ou en altérerait le contenu sans laisser de trace. « Nous offrons une preuve physique que les données n'ont pas été modifiées : toute tentative de réécriture crée un motif de cratère différent, immédiatement détectable par nos algorithmes de contrôle d'intégrité », résume le CEO. 

Une feuille de route ambitieuse Créée cet été, Ewigbyte finalise actuellement un premier MVP construit à partir de machines industrielles d'ablation du verre, dont l'optique et la chaîne opto‑électronique ont été profondément modifiées. L'objectif annoncé aux investisseurs est de disposer, dans les six à douze prochains mois, d'une première machine en rack capable d'écrire et de lire des blocs de données sur une la lamelle en verre mince standard, ouvrant la voie à des projets pilotes WORN (Write Once, Read Never) pour des besoins d'archivage extrême. Selon la feuille de route présentée à un IT Press Tour, un premier prototype combinant écriture, lecture et logistique robotisée doit entrer en service autour de 2026, avec plusieurs dizaines de têtes laser et de stations de lecture pour démontrer la scalabilité et des débits agrégés de l'ordre de plusieurs dizaines de Go/s en lecture simultanée. « Nous voulons montrer d'abord qu'une seule machine fonctionne, puis prouver que nous pouvons paralléliser l'écriture et la lecture à l'échelle d'un entrepôt, avant de licencier ce concept de data factory à de grands opérateurs d'infrastructure », explique Steffen Klewitz. 



Ewigbyre compte passer rapidement à une échelle datacenter. (Crédit P.K.)

À partir de 2028‑2029, Ewigbyte ambitionne d'industrialiser des entrepôts de stockage warm/cold capables de rivaliser économiquement avec la bande sur le coût au téraoctet tout en offrant de meilleurs temps de restauration, notamment dans les scénarios de reprise après ransomware où le client souhaiterait relire rapidement plusieurs pétaoctets. Le modèle économique restera centré sur un service de stockage managé, de type "cold storage as a service", avec la possibilité de livrer à terme des usines clés en main sous licence pour certains grands acteurs souhaitant opérer eux‑mêmes leur archive sur verre.

La concurrence est déjà là Ewigbyte arrive cependant sur un segment où plusieurs start‑ups et un hyperscaler se positionnent déjà, chacune avec une approche technologique distincte autour du verre ou du quartz. Cerabyte, l'ancienne maison de Steffen Klewitz, combine ainsi verre Gorilla Glass et couches céramique micro‑perforées au laser femtoseconde, avec comme ambition de stocker des archives sur des rubans flexibles pour atteindre de très fortes densités. Le britannique Sphotonix travaille de son côté sur des 5D Memory Crystals où les données sont encodées en voxels dans un cristal de silice, en jouant sur trois coordonnées spatiales plus la polarisation et l'intensité de la lumière, un seul disque en verre de 5 pouces pouvant à terme stocker jusqu'à 360 To avec une stabilité annoncée à l'échelle de l'âge de l'univers. 

De son côté, Microsoft explore depuis 2017 le Projet Silica, une technologie de stockage WORM sur plaques de quartz destinée à ses propres besoins cloud, relancée en 2019 avec Warner Bros pour des archives de films et désormais capable de placer jusqu'à plusieurs téraoctets dans une petite plaque de verre de quartz. Au‑delà du verre, d'autres pistes cherchent à s'imposer comme futurs supports d'archives, en particulier le stockage ADN, qui promet une densité exceptionnelle et une longévité théorique de plusieurs centaines d'années, mais reste pour l'instant cantonné au laboratoire et à quelques services expérimentaux. Dans ce paysage foisonnant, Ewigbyte mise sur une combinaison de photoniques industrielles, de logistique automatisée et de sécurité par la physique pour convaincre les grands détenteurs de données froides de passer du magnétique au verre. 

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